Un cadeau à la clé

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Pour cette nouvelle, le thème du concours était : " La clé"

 

"Vous n’ouvrirez cette porte que lorsque vous serez assez grande.» Aussi loin que se souvienne Mathilde, elle entend son père leur faire cette recommandation. À l’époque, elle devait avoir trois ou quatre ans et Barbara, sa sœur, approchait de ses dix ans. Assez grande pour quoi, en fait ?

Cette porte se situait au rez-de-chaussée, près de l’entrée. Que pouvait-il bien y avoir dans ce qui ne pouvait être qu’un placard? Un jour, leur père avait ajouté quelques commentaires : « J’ai enfermé la clé de cette porte dans ce globe. J’ai conçu un système quelque peu ingénieux qui vous demandera un peu de réflexion avant d’en comprendre le mécanisme. C’est pourquoi lorsque vous trouverez le moyen de récupérer cette clé, cela prouvera que vous serez devenue assez grande pour avoir le droit d’ouvrir cette porte et d’apprécier ce que je crois être un très beau cadeau. » Mathilde se souvient encore de son émerveillement le jour où elle découvrit «  la chose » ! Son père était horloger bijoutier. Il leur avait déjà offert de nombreux jouets, faits de ses mains, articulés par de minutieux mécanismes. Celui-là était étrange et, en même temps, pour Mathilde il apparut d’une beauté extraordinaire.  C’était donc un globe. À l’intérieur, elle aperçut d’abord la clé mais ce n’est pas elle qui retint son attention. Il y avait une sorte de balancier, d’un côté la clé, de l’autre une magnifique figurine. C’était une petite danseuse d’une incroyable finesse, sa pureté évoquait du cristal. Son visage avait le sourire d’une fée. Ses bras s’arrondissaient au dessus de sa tête, les mains jointes semblaient s’accrocher pour maintenir le bras du balancier. Semblait seulement car il était clair que ses mains étaient juste posées au-dessus du balancier. Mathilde était encore bien jeune mais déjà elle avait compris que si quelqu’un prenait la clé tout ce bel équilibre s’effondrerait. La danseuse alors, privée de son contre poids, s’écraserait sur le socle et se briserait. C’était une idée insupportable pour Mathilde. Elle se prit à rêver, elle voulait récupérer cette petite statuette ! Pourtant, la sortir de ce globe paraissait impossible. Il y avait bien une petite ouverture du côté de la clé. C’est vrai, avec sa petite main, avec de la patience, elle pourrait réussir à attraper la clé mais ce serait sacrifier la jolie poupée et cela, elle ne le voulait pas. Toute petite, elle passa des heures à contempler l’objet de tous ses désirs.

Mathilde avait un autre souci. Sa sœur Barbara aurait bien aimé elle aussi résoudre le problème de ce globe. Au début, elle avait déclaré à Mathilde : « Je suis la plus âgée, tu verras, je trouverais facilement ». Mais le temps passait et Barbara n’était guère patiente. Pour elle, seule la clé l’intéressait, elle voulait ouvrir ce placard. Barbara était persuadée que le trésor qui s’y cachait était fabuleux. Elle rêvait de bijoux, de pierreries, d’une énorme tirelire dont le contenu lui permettrait de réaliser toutes ses envies. De nombreuses fois, elle en avait discuté avec Mathilde, essayant de la gagner à sa cause. Elle était arrivée à la même conclusion qu’elle : seuls de petits doigts pouvaient pénétrer à l’intérieur du globe. Elle avait donc besoin de la coopération de sa jeune sœur ! Elle fit tout pour la convaincre, lui faisant miroiter tout ce qu’elles pourraient faire avec la cagnotte qu’elles trouveraient dans le placard. Mathilde fut inébranlable ce qui mit de nombreuses fois Barbara en colère. Parfois, excédée, la grande finissait par dire à la petite qu’elle perdait son temps, que c’était impossible de résoudre ce problème. Pour avoir la clé, il était obligatoire de faire tomber la statuette. Ce n’était pas envisageable, leur père ne pouvait pas avoir fait une chose pareille, il y avait forcément une solution, Mathilde en était sûre.

Les mois ont passé, les sœurs s’entendaient à merveille, la grande protégeant la petite, la petite émerveillant la grande par son heureux caractère. Mais il était un sujet qui les séparait toujours : La clé et le mystère de son globe. Chacune des deux sœurs maintenait sa position : l’une voulait la clé, l’autre la figurine.

Un soir, Mathilde fut troublée de voir sa sœur avec les yeux rougis. Le repas du soir se passa dans le plus profond silence, ce qui n’était pas coutumier dans cette famille. Le père regardait ses filles sans faire de commentaires, Mathilde voyait bien que Barbara gardait les yeux baissés. Que s’était-il passé ? Ce n’est que beaucoup plus tard que Mathilde établit un lien avec cette soirée. C’est à partir de ce moment-là que Barbara ne parla plus du trésor espéré, ne la supplia plus de récupérer la clé. Comme si elle s’était fait une raison, comme si elle avait apprit quelque chose. Oui, mais quoi ? Encore un mystère à élucider.

Mathilde avait maintenant six ans, elle passait de longues heures à contempler la petite danseuse et sa prison de verre. Le globe était déposé sur un guéridon et Mathilde en avait fait le tour des dizaines de fois, essayant d’en percer le secret. Une chose l’intriguait : de chaque côté du globe, un peu en dessous des pieds de la figurine, il y avait deux petits trous, de la forme d’un carré d’un peu moins d’un centimètre. À quoi cela pouvait-il bien servir ? Elle pouvait y glisser son petit doigt mais cela ne l’aidait en rien ! Elle ne pouvait même pas frôler la danseuse ! Elle était pourtant convaincue que ces trous avaient leur utilité, mais laquelle ?

La solution lui est apparue un jour qu’elle faisait ses devoirs de maths tout en tripotant sa petite règle en fer. C’est en regardant la forme de son embout qu’elle eut l’intuition qu’elle avait trouvé. Elle était seule ce jour-là. Sa mère travaillait au jardin et son père était dans son atelier. C’est donc en toute quiétude qu’elle put vérifier son hypothèse. Elle s’approcha du globe et inséra la règle dans le premier trou. Comme elle l’avait deviné la règle était juste à la mesure de l’orifice. Elle pénétra doucement, elle passa sous les pieds de la figurine, sans les toucher, continua son chemin et ressortie par le trou situé juste en face. La règle, maintenue de part et d’autre  par le globe, pouvait dès à présent servir de piédestal à la danseuse. Mathilde introduisit sa petite main par le trou prévu du côté de la clé. Elle saisit celle-ci délicatement, laissant le levier se relever doucement. Comme prévu, de l’autre côté, la danseuse vint prendre appui sur la règle et s’immobilisa ainsi.

Mathilde partit en courant vers l’atelier de son père. En la voyant arriver rouge d’excitation, son père lui sourit et la questionna: «Que se passe-t-il? ». Toute fière, Mathilde lui montra la clé. « Alors tu es contente ? » lui demanda son père. Ce n’est qu’à ce moment-là que Mathilde réalisa que ce n’était pas cela qu’elle voulait. La clé ne l’intéressait pas. Son bel enthousiasme tomba d’un coup. Son esprit logique était content d’avoir trouvé la solution à un problème mais ce n’était pas celui-là que Mathilde voulait résoudre : Elle voulait tenir dans ses mains la jolie danseuse ! Son père vit sa déception mais lui rappela que tout problème avait sa solution. Il lui suffisait sans doute de réfléchir encore un peu. 

Mathilde repartit en courant vers la maison. « Eh, tu ne prends pas ta clé ? » lui cria son père. Elle ne l’entendit pas. Elle passa devant le placard sans même y jeter un coup d’œil. Elle se moquait bien de ce qu’il y avait à l’intérieur. Elle prit une chaise et s’installa face au guéridon, pensive. Le sourire de la petite statue l’émerveillait toujours autant, la captivait. En s’approchant trop près pour la regarder, Mathilde, par mégarde, fit bouger le guéridon. D’instinct, pour protéger son trésor, elle mit les mains sur le globe pour l’empêcher de tomber. C’est alors que quelque chose d’inattendue se produisit : le globe bougea, très peu, mais il bougea ! Il n’était pas fixé à la table ! À la réflexion, elle comprit que cela était logique, pourquoi et comment l’aurait-il été ? Depuis le début, elle avait été comme hypnotisée par ce qu’elle avait appelé « la chose ». L’ensemble représentait un trésor si précieux à ses yeux qu’elle n’avait même jamais pensé à le frôler ! Cette découverte devait changer la nature de son problème, il fallait qu’elle réfléchisse. Pourtant, en poussant légèrement le globe ou même en le soulevant, il ne se passait rien, la poupée restait bien prisonnière ! Mathilde se concentrait au maximum, elle était sûre qu’elle était proche de la solution. Quelque chose lui échappait, elle le  sentait bien, mais quoi ?

Son petit nez se plissa, par trop de réflexion et, soudain, Mathilde éclata de rire. Ce n’était que cela, elle en était persuadée. Qu’elle n’y ait pas pensé dès le départ, alors que maintenant cela lui apparaissait comme une évidence, l’agaçait un peu mais elle retrouvait bien là son cher papa ! Bien sûr qu’elle aurait pu trouver plus tôt, ce n’était ni une histoire d’âge, ni une question de force, juste un peu de logique. Son attention avait été détournée par la magie de cette poupée qui avait comme endormi tout raisonnement de sa part.

Mathilde repartit vers l’atelier, récupéra la clé qu’elle avait abandonnée voilà peu et ressortit aussitôt, sous le regard médusé de son père. Il avait comprit que sa fille était sur le bon chemin. Cette fois-ci, il la suivit, curieux d’assister à ce qui allait être le dénouement d’une belle histoire.

Avec patience, Mathilde remit la clé sur le petit balancier, et, doucement, retira la règle. La poupée se retrouva suspendue par ses deux bras, comme avant. Il ne restait plus à Mathilde qu’à vérifier que ses déductions étaient bonnes : Elle souleva sans aucune difficulté le globe, le déposa sur la table. Alors, d’une main elle saisit la clé pendant que de l’autre elle s’emparait de la jolie danseuse.

Avec émotion elle la palpa, la retourna, comme pour se prouver qu’elle ne rêvait pas. Cela faisait si longtemps qu’elle attendait ce moment ! Elle savait reconnaître le cristal et voyait bien que ceci n’était que du verre mais qu’importe. Un indicible bonheur s’emparait d’elle. La satisfaction d’être allée au bout de ses recherches, de ne jamais avoir abandonné malgré les critiques de sa sœur, d’avoir trouvé suffisamment de forces et de volonté pour ne jamais renoncer. D’y avoir cru, dès le départ. Oui, c’était surtout cela. Tout de suite elle avait fait confiance à son père et su qu’il y avait une solution. Donc, si c’était possible, elle trouverait.

Le père, amusé, contemplait sa fille avec satisfaction. Sa joie d’avoir réussi faisait plaisir à voir et, surtout, la petite semblait avoir complètement oublié la clé…. Quelle différence entre ses deux filles ! Il se souvenait encore des larmes de Barbara lorsqu’elle avait découvert un des secrets de l’énigme. Colère, rage, amertume, déception. La fillette attendait tant de ce prétendu trésor !

Mathilde sortit son père de ses réflexions en lui affirmant, car ce n’était pas une question, c’était bien une affirmation : « Il n’y a rien derrière cette porte, n’est-ce pas ? » La petite contemplait son père avec amusement, certaine d’avoir  démasqué sa supercherie.  « Peut-être, même, peut-être… ». Elle n’acheva pas sa phrase, comme si l’étendue de sa supposition était quand même un peu trop fantasque, même pour un homme tel que son père. Elle se précipita vers l’entrée, histoire de vérifier sa théorie. Elle avait la clé dans sa main gauche mais c’est avec sa main droite qu’elle essaya d’ouvrir la porte : en appuyant simplement sur la poignée… Et la porte s’ouvrit ! Mathilde se retourna fièrement vers son père, ravie d’avoir été aussi maligne que lui. Au fond d’elle-même, subsistaient un certain nombre de questions mais elle avait conscience qu’elle venait d’apprendre des choses essentielles. Leur père leur avait demandé de résoudre une énigme d’une simplicité presque révoltante : Un placard non fermé à clé, vide, et, de surcroît, la clé pouvait se récupérer simplement en soulevant le globe ! Vexant ! Ses idées se mettaient peu à peu en place, elle étudia ses réactions, son comportement passé. Sans concession pour son jeune âge, elle essaya de comprendre. Elle reprit les données qu’elle avait eues : la clé et son placard au trésor, le globe avec cette même clé dont le sort était lié avec cette magnifique danseuse. Elle savait que ses idées avaient été complètement anesthésiées dès que ses yeux s’étaient posés sur cette figurine. Elle avait dès lors tout oublié, jusqu’à la plus élémentaire logique. Son unique but avait été de récupérer cette statuette, sans la casser. Son père avait mis beaucoup de mystère, de sérieux dans la présentation de son globe et Mathilde s’était laissée impressionner, convaincue de la difficulté de la tâche qui l’attendait. Oui, c’est cela, elle s’était laissée berner par les apparences.

Au repas du soir, la discussion tourna bien sûr autour du placard… Barbara put, enfin, s’exprimer sur ce qu’elle estimait être une énorme escroquerie : leur père les avait trompées. Où était ce fabuleux trésor ? Il y a quelques mois, n’en pouvant plus d’attendre et devant son impossibilité à récupérer la clé, elle avait, de colère, donné un coup de pied dans la porte, tout en s’appuyant sur la poignée ! La porte s’était ouverte sur ce fameux placard vide. Elle avait d’abord pensé à un cambriolage et avait couru avertir son père…qui s’était contenté de sourire. Elle avait été folle de rage car, non content d’avoir monté ce mauvais canular, il avait de plus exigé d’elle qu’elle garde le silence envers sa sœur. Ce soir-là, alors que sa colère refaisait surface, son père la reprit en précisant qu’il n’avait jamais parlé de trésor mais de beau cadeau. Barbara ne voyait pas la nuance. Tout était terriblement clair : il n’y avait rien derrière cette fichue porte, leur père leur avait mentit, point !

Mathilde jouait avec le contenu de son assiette, quelque chose la tracassait encore. Son père, s’il était joueur et parfois farfelu, n’était en rien menteur. Elle savait que ce qu’elle avait comprit ce jour-là lui serait utile dans sa vie future, qu’elle pouvait donc, dans un sens, considérer cela comme un beau cadeau. Mais était-ce vraiment tout ? Subjuguée par la beauté de la danseuse, n’avait-elle pas trop négligé le rôle de la clé ? Elle se leva de table et retourna examiner la clé qu’elle avait posée sur un meuble de l’entrée. Délaissée par tous, cette clé aurait pu essayer de se faire oublier. Tout au contraire, elle semblait trôner et attendre patiemment son heure de gloire ! C’est du moins ce que ressentit Mathilde en la regardant, pour la première fois, avec un minimum d’intérêt. C’est vrai qu’elle était belle, un peu comme un bijou. Cette dernière pensée fit sursauter Mathilde. Cette fois-ci, elle avait la totalité de ses réponses et, avec soulagement retourna voir son père. «  En la faisant fondre, tu peux nous faire à chacune une gourmette ? »

Mathilde conserve depuis bientôt quarante ans cette gourmette en argent massif, comme le plus précieux des trésors. Le plus précieux ? En fait, non, à ses yeux la petite danseuse de verre l’était bien plus encore.

 


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Commentaires: 1
  • #1

    polo (lundi, 30 novembre 2009 15:52)

    Bravo ! Mony j'adore cette petite histoire magnifique bisous polo