De l'eau sur ordonnance

Concours de nouvelles dont le thème était : L'eau

 

Voilà, j’y suis.

Ne vous moquez pas et ne croyez pas, surtout, que cela fut facile de me convaincre. J’ai, auparavant, usé et abusé de tous les arguments possibles et invraisemblables, pour me prouver que l’idée ne valait rien. Puis un de ces fameux jours, je me suis réveillée avec une forme éblouissante, prête à me lancer dans une entreprise qui, la veille encore, me semblait burlesque ! J’ai alors franchi le pas : j’ai effectué les démarches pour partir en cure thermale. Si j’ai tant hésité avant de me «  jeter à l’eau », c’est parce que l’eau n’est pas mon élément de prédilection, mes rapports avec elle sont très contradictoires ; c’est simple, je la vénère et la déteste en même temps.

Dans un verre, fraîche, plate ou pétillante, elle reste ma boisson favorite, la plus désaltérante au cœur des chaleurs estivales.

 Elle est source de bien être, relaxante. L’été, un de mes plus grands bonheurs est de m’installer près d’une cascade ; partie des sommets enneigés, l’eau se fait envoûtante, elle dévale les torrents, distribuant sa fraîcheur et sa pureté.

Je la trouve majestueuse quand, jouant avec le soleil, elle fait de ses vagues chanter et danser la mer.

Devenue neige, elle tourbillonne dans un ballet magique et féerique recouvrant tout d'un tapis moelleux.

Elle est vitale, lorsque, se  transformant en pluie, elle arrose copieusement les récoltes. J’aime l’imaginer serpentant sous terre, apportant la vie partout où nous avons la chance qu’elle passe. Essentielle à notre survie, je voudrais croire que chaque terrien, conscient de ce fait, se sente concerné et fasse  tout pour la protéger.

Mais sa terrible force m’angoisse aussi. Les jours de grande marée, sa violence me fascine et m’inquiète tout à la fois. Elle devient terrifiante, lorsque, au cours d’un orage, elle gonfle le ruisselet  pour le transformer en torrent dévastant tout sur son passage. Nous devons rester humbles face à sa puissance. Nous pouvons tenter de la dominer mais jamais nous ne la contrôlerons totalement. Entièrement libre,  belle, sauvage, indispensable à la vie, puissante ; comment ne pas tomber sous son charme ? Pourtant, je le confirme, mon amour pour elle est emprunt de réserve, j’ai horreur de tout contact trop personnel avec elle. Je n’aime pas qu’on m’éclabousse, je n’envisage, en aucun cas, d’immerger ma tête, de laisser pénétrer cet élément liquide par mes trous de nez ou d’oreilles. Alors, jugez de mon propre étonnement, me voici arrivée dans une station thermale, prête à commencer ma cure.

Enfin, quand je dis prête, ce n’est qu’une expression, si vous saviez comme je regrette d’être là ! Comme les questions se bousculent dans ma petite tête ! Mais qui a eu cette idée folle ? Comment ai-je pu en arriver là ? Soyons positive, je sais bien que si j’aie fini par accepter, c’est que j’ai été entièrement convaincue par les arguments de mon généraliste. Selon lui, l’eau était non seulement un élément essentiel de la vie mais, de plus, elle pouvait nous apporter ses nombreux bienfaits ; après une cure thermale, les patients sont, paraît-il, comme transformés, leurs douleurs oubliées, leur vitalité retrouvée.  À écouter ce docteur, j’ai eu l’impression qu’il me proposait une cure de jouvence ; quelle femme serait prête à renoncer à pareille proposition ? Je me devais, au moins, de tenter l’expérience.

Une fois sur place, il ne me reste donc qu’à suivre l’itinéraire prévu. Je dois d’abord rencontrer “le” docteur, celui qui a tous les pouvoirs, celui qui décidera de ce qui conviendra le mieux pour améliorer l’état de ma petite personne. Parmi toutes les réjouissances que j’ai entrevues sur le catalogue de la station, ce médecin en choisira six. Je suis anxieuse, je crains que certains soins ne s’accordent guère avec mon aversion aquatique ! Mon formulaire rempli, je me dirige  vers le bureau des inscriptions. On me prédit deux heures d’attente. Je profite de ces quelques instants de répit pour observer la faune. On se fait la bise par-ci par-là, on se serre la main, on se reconnaît. C’est clair, je suis entourée de vieux routiers, les hôtesses n’ont rien à leur apprendre, eux, ils savent. Alors, mine de rien, j’écoute, j’essaie de glaner des informations sur ce milieu qui m’est inconnu et un tantinet hostile. La secrétaire m’informe que je viendrais de dix heures trente à midi. Je commence demain matin.

En sortant, je suis accueillie par une pluie battante, c’est donc bien vrai, je suis dans une ville d’eau ! Dégoulinante, je rejoins mon repaire. Nichée au creux de ma poitrine, s’épanouit l’angoisse de ce lendemain.

Ma nuit fut agitée. Finalement, j’ai hâte de savoir, de découvrir. Un coup d’œil dehors, il pleut toujours. Pourvu que cette histoire, où l’eau  est trop présente, ne me déprime pas totalement !

Bon, bravement je quitte mon gîte. Je pousse la porte des thermes avec la conviction que je n’aurais jamais dû venir,  mon inquiétude doit être  visible. Une hôtesse me guide : d’abord se munir du peignoir blanc, uniforme des curistes, passer au vestiaire, et ensuite muni de la fiche de soins, amie inséparable de notre séjour, aller à la découverte des lieux. Pour ma part, je commence par le couloir de marche, cela n’a pas l’air trop agressif pour débuter. Soixante-dix centimètres d’eau, des remous, faire des allers-retours pendant un quart d’heure. Comme le paysage de la piscine n’est pas très varié, il ne me reste plus qu’à observer les autres baigneurs. J’emboîte le pas à la sportive, au pépé grincheux, à la dame très âgée mais rayonnante, aux bavardes qui s’arrêtent et bloquent le passage, au monsieur très bon chic bon genre qui se croit irrésistible, aux étourdies qui prennent les couloirs à contresens. Je marche, tu marches, il ou elle marche. Ici, me dit un brave grand-père, “ Même si l’on marche longtemps, on ne va nulle part.” Je sens mes mollets se détendre au contact de l’eau. La sensation est identique à celle d’une promenade le long de la plage, lorsque les vagues viennent caresser nos chevilles. Ce doux massage renforce et améliore la circulation sanguine. Ce n’est plus une simple promenade, c’est un gage de bien être pour l’avenir.

Bon, mesdames, messieurs, je ne m’ennuie pas avec vous, mais il faut que je poursuive mon parcours. Je dois maintenant rencontrer Patricia, pour la série des bains.  Elle m’accueille avec un sourire chaleureux et m’explique comment cela va se passer. Je commence par l’aérobain ; ce sont des micros bulles, diffusées à partir du fond de la baignoire, pour un effleurage doux et sédatif, précise-t-elle. Je me laisse engloutir dans une eau délicieusement tiède, des remous, des bulles, il ne me manque que mon petit canard !  Je me laisse aller, je me décontracte, mais c’est que finalement, je pourrais aimer ça ! Je me sens comme masser par des centaines de bulles pleines de bonnes intentions. Efficace, je ne sais pas encore, mais agréable c’est sûr. Un long moment pour ne penser qu’à moi, un vrai luxe. Le retour de Patricia me tire de ma rêverie. Je continue ma trempette, m’informe-t-elle, mais cette fois-ci, ce sera un bain avec douche en immersion. Du fond de la baignoire, ainsi que sur les côtés, partent une multitude de jets, pour un massage général, énergique sans être brutal. Mon bien-être est total. Les tensions des muscles s’apaisent, les douleurs, responsables de ma présence ici, se font oublier. Je me sens si bien qu’il me vient comme un regret lorsque le temps prévu est écoulé et que je dois quitter ce lieu magique.  À demain Patricia, je reviendrai avec plaisir.

De l’autre côté du couloir, Agnès m’attend. Elle est chargée de m’enduire le dos et les épaules de boue. J’arrive très décontractée, le bain m’a un peu ramollie et je ne vois pas en quoi la boue pourrait être inquiétante ? Et bien, j’avais tort ! Ce qu’on avait omis de me préciser, c’est la température de cette boue : quarante-huit degrés. Cela surprend tout de même un peu la première fois. Ensuite, on m’enveloppe dans un grand plastique, du style film alimentaire, quinze minutes à mijoter, une lumière clignote quand je suis à point. M’attend ensuite la dernière festivité : la douche au jet. Là, voyez-vous, je crois m’être aventurée dans une caserne de pompiers ; c’est que je n’ai pas l’habitude, moi, de me faire rincer à la lance à incendie ! Pourtant, j’ai de la chance car sur ma fiche, il est porté la mention “basse pression”. Avec la pression normale, les patients ne s’écrasent pas contre le mur ? Non ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est puissant et que cela réveille ! Qu’y avait-t-il d’inscrit sur le dépliant ? « Stimulante et tonique », oui, on peut dire ça comme ça !

Et bien voilà, j’ai terminé ma première trempette, il ne m’en reste que dix-sept. Moins terrible que je ne le craignais, mais je suis tout de même un peu sonnée en rentrant chez moi. Je tremble, je ne sais pas si j’ai très faim, il est treize heures, ou si j’ai sommeil. Rapidement je satisfais mon estomac, et je m’écroule sur mon lit. Ah, ce plaisir de pouvoir s’offrir une vraie sieste ! Au réveil, je détiens une super forme, le soleil est là, la vie est belle.

Le lendemain, l’angoisse de la découverte en moins, je savoure pleinement l’ensemble de mon traitement. Entre chaque soin, parfois un peu d’attente. J’en profite pour faire la connaissance de quelques curistes, souvent des habitués. Personne ne me parle de cure de jouvence, non, cela est réservé à la légende de la station ; cependant, tous sont unanimes pour vanter les bienfaits de cette eau. Grâce à sa cure, cette dame âgée oublie ses souffrances durant quelques six mois, appréciable pour toute personne qui a connu les douleurs invalidantes causées par les rhumatismes. Sa circulation sanguine améliorée, cette autre femme a retrouvé le plaisir de la marche. Tous reviennent avec plaisir, leur corps réclamant cette cure, comme un baume devenu indispensable. À l’ère des réussites médicales prodigieuses, il faut savoir apprécier ce pouvoir à la fois naturel et sensationnel : Cette eau, en toute simplicité, nous offre toutes ses vertus. Elle est là depuis la nuit des temps, fidèle, toujours aussi efficace.  Alors, ne boudons pas notre plaisir et acceptons  ce précieux cadeau.

Pour ma part, j’ai apprécié, à leur juste valeur, tous ces moments privilégiés où j’ai eu la faculté de ne m’occuper que de moi. A l’heure de la vitesse, où tout doit être fait dans l’urgence ; à une époque où nous, les femmes, devons conjuguer travail, enfants, maison, le tout avec un égal sourire. Qu’il est bon d’apprendre à prendre son temps, se laisser couler dans un bain relaxant et tonique à la fois ; oublier de se sentir coupable, reconnaître simplement que ces moments privilégiés nous aideront plus tard, au cœur de l’hiver, à diminuer ces soucis physiques qui nous gâchaient si bien la vie !

Docteur, prenons rendez-vous pour l’année prochaine, prescrivez-moi, de nouveau, du bien-être sur ordonnance.

                                                                                                              Mony

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