Gino, l'appel de la mer

 Nouvelle écrite pour participer à un recueil dont le thème est la mer... 

Par contre, toujours ce souci avec mon site, impossible de publier une photo... 

 

 

Il a eu six ans hier. Il est grand, du moins le croit-il, sa mère lui a si souvent dit ! « A six ans, tu seras grand, tu te débrouilleras tout seul »... Bientôt, il entrera à la grande école, et le soir plus besoin d’aller à la garderie en attendant que sa mère revienne du travail. Ils habitent une baraque à la lisière de la forêt, entourée d’autres baraques, aussi pauvres, aussi tristes que la leur. Mais Gino s’y sent bien, au milieu de tous ces gens qui sont des amis, comme une famille... Ce que Gino apprécie le plus, c’est ce grand serpent qui longe la forêt... Ce fleuve qui s’écoule, qui passe, entraînant avec lui les rêves de l’enfant. Le Papé lui a souvent raconté que ce fleuve va jusqu’à la mer... La mer... Gino n’en peut plus de l’imaginer cette mer. Il veut la voir. Il veut voir les gabians qui dansent au dessus des vagues. Il veut les entendre chanter. Il veut écouter le bruit de ses pas sur le sable. Il veut ressentir le vent qui soulève ses cheveux. Il veut regarder loin, très loin, encore au delà de l’horizon, qu’y a-t-il là-bas ? Il veut, il veut... Il n’a jamais quitté son village. Ils n’ont pas de voiture et pour s’en sortir sa mère cumule plusieurs emplois. Pas de temps à consacrer à un voyage, aussi court soit-il.

Il partira cette nuit. Depuis plusieurs jours, il a gardé ses goûters, quelques morceaux de pain, de fromage, du chocolat, des fruits. Son sac à dos est plein. Il a préparé les quelques pièces de monnaie, trésor mis de côté au gré des dons de sa mère. Il a écrit le petit mot pour rassurer sa maman : « je par pa lonten, deu ou troi jour, je revien »

Le Papé lui a si souvent raconté l’histoire de ce Rhône que l’enfant sait bien qu’il ne peut pas se perdre. En le suivant, il arrivera forcément à la mer. La soirée s’écoule trop doucement, le petit est impatient. Une fois sa mère couchée, il se rhabille en silence et, de sa chambre, il observe la cabane du Papé. Il ne dort pas beaucoup ce grand-père et Gino sait bien qu’il observe tout de sa fenêtre. Il est si curieux ce Papé ! Le gamin n’a pas de famille, mis à part sa mère, alors il s’est attaché à cet homme qui prend toujours le temps de l’écouter ou de lui raconter des histoires. La lumière en face finit par s’éteindre. Gino reste prudent, il sort en escaladant la fenêtre de la cuisine, située à l’arrière de la cabane. Papé ne le verra pas partir. La lune est pleine et éclaire bien le chemin, elle a transformé le fleuve en un long serpent argenté, magnifique... Gino sait qu’il doit profiter de la nuit pour s’éloigner au maximum. Il marche d’un bon pas. Il puise son énergie dans ce bonheur à venir, il va, tout comme son copain le Rhône, rejoindre la mer... son beau rêve inaccessible. Papé lui a dit un jour qu’il était allé jusqu’à la mer... il avait dormi sous un arbre, en compagnie de son chien. Gino pense donc que la mer est à peu près à deux jours de marche. Lui, Gino, marche plus vite que le Papé. Par contre, il va essayer de se cacher lorsque le jour sera venu, par prudence... Il ne sent pas la fatigue, il est comme porté par son enthousiasme. Lorsque les premières lueurs de l’aube commencent à poindre, l’enfant cherche un endroit où se poser. Il s’éloigne du chemin, pénètre dans un champ et s’installe en lisière, caché entre deux buissons. Il mange avec avidité, il ne s’était pas aperçu qu’il avait aussi faim... Il pose sa tête sur son sac et s’endort quasi instantanément. Ses rêves sont peuplés de gabians, ils jouent au dessus de la mer qui scintille. Il se voit, lui Gino, il court sur le sable mouillé, pieds nus, libre, libre, libre... Il est réveillé par des gens qui passent sur le chemin. Il mange quelques gâteaux sortis de son sac. Le soleil a commencé à descendre, il a donc dormi une bonne partie de la journée. Il jette un œil vers le chemin. C’est une grande ligne droite avec des plantations de part et d’autre. Il pourrait s’y cacher si nécessaire. Il décide de repartir, il est en forme et si impatient ! Parfois le chemin s’éloigne du fleuve, parfois l’enfant doit emprunter une route. Seul son instinct le guide pour garder la bonne direction. Il arrive dans une ville, c’est un peu compliqué pour lui. Il y a de l’eau partout, canal, fleuve.. Par où aller ? Comment se renseigner sans se faire remarquer ? Il a enfoncé presque jusque sur ses yeux la casquette que lui a offert le Papé il y a quelques années. Elle dissimule ses boucles brunes. Il espère se fondre au milieu des gens qui déambulent sans vraiment faire attention à lui. Par chance, il découvre ce panneau « plage Napoléon », cela doit bien être la mer s’il y a une plage ? Le voici reparti... il sait qu’il est presque arrivé. Mais ses jambes ont trop travaillé, elles refusent soudain d’en faire plus... Le soleil lui aussi va bientôt se coucher... Gino s’approche d’un espace recouvert de ce qui lui paraît être des saules et des joncs. Il s’assoit et s’assoupit aussitôt. Il n’est plus qu’un petit garçon de six ans, mort de fatigue...

Auguste s’est stationné un peu plus loin et il arrive silencieusement, comme à son habitude. C’est un chasseur, mais un chasseur paisible, un chasseur d’images. Il est venu guetter ses chers gabians, les surprendre dans les couleurs du soleil couchant. Il s’installe et aussitôt commence à mettre en boîte. Les gabians sont là, fidèles au poste. Son attention est soudain troublée par un léger bruissement, à quelques pas derrière lui... il ne se retourne pas, il fait juste glisser ses yeux sur le côté. Il entrevoit un petit bonhomme... C’est sans doute en voulant mieux se cacher qu’il a trahi sa présence. Auguste a compris qu’à cette heure tardive aucun jeune enfant ne traîne seul, surtout dans cette zone désertée. Il a entendu tous les messages d’alerte, ceux qui ne cessent de passer depuis hier, à la radio ou à la télé. Un petit garçon a disparu, il habite à une trentaine de kilomètres de chez lui. Il n’a aucun doute, c’est le petit Gino qui se trouve là. Il connaît bien cette zone, marécageuse. Il ne faudrait pas que l'enfant en reculant pour s'éloigner de lui tombe dans un de ces trous dangereux. Il décide d'agir avec prudence, sous forme de jeu. Il s'accroupit et se met à parler doucement, comme si la présence du petit était une évidence pour lui.

- Tu as vu ? Regarde c'est Monsieur Gabian qui tourne là-haut. Tu sais pourquoi il tourne ainsi ?

Il n'attend pas la réponse, il sait qu'il est encore trop tôt pour que le gamin se manifeste. Il poursuit :

- Je suis presque persuadé qu'il veut venir saluer sa dame. D'ici peu, si on ne bouge pas, il va descendre et se poser près d'elle. Tu la vois ? Ah non, de là où tu es tu ne peux pas la voir. Approche doucement, sans faire de bruit.

Il continue à parler, sans se retourner, mais il a entendu un bruissement. L'enfant a quitté sa cachette et se rapproche de l'homme.

- Elle est où ? chuchote-t-il.

D'un mouvement discret, Auguste indique la direction. L'enfant s'applique, cligne des yeux. Peu à peu le soleil se couche et la luminosité se fait moindre. Enfin, il découvre la femelle et il a du mal à retenir sa joie. Il sautille de bonheur. Alors, seulement, Auguste se tourne vers lui, le regarde et lui tend la main.

- Salut, je m'appelle Auguste et toi ?

L'enfant, prêt à répondre, hésite un peu avant de lancer un « Jacques » premier prénom qui lui vient à l'esprit. Auguste sourit. La petite bouille de Gino est passé en boucle sur les chaînes télé et impossible de ne pas le reconnaître. Mais pas question de trahir la confiance de ce petit môme. Il décide d'en savoir plus tout de même.

- Dis-moi, tu as vraiment l'intention de rester dormir là ? Tu veux aller où demain ?

Sans hésitation cette fois, Gino répond : Voir la mer. Je suis bientôt arrivé, non ?

- Ah pour ça oui, nous sommes à deux kilomètres, pas plus.

- Seulement ? Alors je repars.

Auguste est bien embêté. Que doit-il faire ? Prendre ce petit dans son fourgon, le ramener en ville, à la gendarmerie ? Il ne se voit pas faire ça. Il aurait l'impression de le trahir. Mais il sait aussi les ennuis qu'il risque si, allant ensemble vers la mer, il devait se faire contrôler par la police. On l'accuserait ni plus ni moins d'avoir enlevé ce gosse. Rassurer au moins la mère ? Comme souvent, il est parti sans son téléphone. Il réfléchit, vite. Ils sont à deux kilomètres de la mer, à environ six de la ville. C'est bien tentant de rentrer dans le rêve de ce môme.

- Et si on y allait ensemble ? propose-t-il. Mon fourgon est garé tout près.

- Maman ne veut pas que je monte dans la voiture d'un étranger.

Cette fois-ci la réponse a fusé, telle une leçon bien apprise.

- Et ta maman a raison. Moi, par contre, je suis un grand et je n'ai pas le droit de te laisser tout seul par ici, c'est dangereux. Alors on fait quoi, dis-moi ? On peut y aller à pied aussi.

En disant cela Auguste pense qu'il n'est pas très en forme ce soir et qu'il n'a pas trop envie de marcher aussi loin. Mais il le fera... Cet enfant lui plaît avec son assurance, sa détermination.

- Si on est tout près... hésite Gino, je ne serai pas longtemps dans ton fourgon, alors c'est possible. T'es garé où ?

- OK, on y va... Mais juste une chose, on va voir la mer, ensuite je récupère mon téléphone et on appelle ta maman. Tu es d'accord avec ça ?

- Ça marche, tope-là, répond sérieusement le gamin en lui tendant sa paume ouverte pour sceller leur marché.

Et c'est ainsi que les deux compères grimpent dans le fourgon et foncent vers la mer. Les couleurs du ciel sont magnifiques. A peine le véhicule arrêté, Gino, qui a déjà ôté ses chaussures, saute et court sur le sable, bras écartés et hurlant sa joie... Auguste saisit son appareil photo et a cette impression qu'il n'a jamais fait de photos aussi belles... Il filme aussi cet instant de bonheur. Celui d'un petit garçon qui court, ivre de joie devant cette mer dont il a tant rêvé.

Mony

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